M. IEMOLINI: Lic in Clinical Psychology; Senior partner at Rosapeak Advisors SA
F.D HARNISCHBERG: BSc, MBA; Senior partner at Rosapeak Advisors SA
ABSTRACT
Cet article se penche sur les différents types de management destructif, actif ou passif, dont la prévalence varie entre 33,5% et 61% selon les méthodes d’analyse. Notre synthèse de la littérature porte plus particulièrement sur le « Laissez-faire leadership » qui avec 21.2% représente le type le plus fréquent de management destructif.
Les diverses études examinées dans cet article, couvrent principalement 3 continents (Europe, Asie, Amérique du Nord). Elles examinent un ensemble de plus de 300'000 collaborateurs dont environ un tiers sont des femmes. L’âge moyen des participants est de 47.67 ans. Les méthodes de management de plus de 20'000 cadres (n 24’852) ont été analysées.
Un leadership destructif, y compris le “Laissez-Faire » peut, dans les cas les plus graves, être à l’origine du développement de symptômes s’apparentant au Syndrome de Stress Post Traumatique (PTSD) aux conséquences sociales et économiques lourdes pour les subordonnés et l’organisation globale. Les auteurs dressent un portrait succinct du « Laissez-faire » Manager, et alertent sur les « Key Performance Indicators » soulignant le risque de présence de ce type de comportement au sein de l’organisation.
Introduction
Senior Partner d’une firme spécialisée en Change Management les auteurs sont régulièrement confrontés à l’analyse des différents types de management qui se divisent en 2 grands groupes et 4 sous- groupes1, les managements de type constructif et destructif. On accepte généralement de différencier le management constructif en groupe «transformationnel » ou « transactionnel»2 Le management destructif se divise lui en un groupe « actif» et un groupe «passif», encore parfois subdivisés.3
Dans cet article nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement au management destructif dont la prévalence totale varie entre 33,5% et 61% des cas étudiés, signifiant ainsi que ce type de comportement ne sont ni rares ni exceptionnels4. Les différents types de management destructifs sont décrits plus bas. Le « Laissez-Faire » leadership étant le plus fréquent 21.2%, nous avons décidé de lui consacrer cet article.
MATERIEL ET METHODE
Les 23 études analysées portent sur une période allant de 1994 à 2022. Celles-ci sont extraites d’une base beaucoup plus large portant sur plus d’une centaine publications sur le sujet, la première description publiée datant vraisemblablement de 1939.
Les diverses études examinées portent principalement sur 3 continents (Europe, Asie, Amérique du Nord). Elles couvrent un ensemble de plus de 300'000 collaborateurs dans des entreprises de 10 employés et plus. 27.9% des collaborateurs interrogés sont des femmes. L’âge moyen des participants est de 47.67 ans (SD= 12.12). Les méthodes de management de plus de 20'000 cadres (n 24’852) ont été analysées.
Les protocoles d’études vont d’études prospectives directes à des méta-analyses en passant par des études rétrospectives ainsi que des ouvrages complets. Les études prospectives utilisent généralement des méthodes de suivi validant ou invalidant une ou plusieurs hypothèses d’effets sur l’organisation du travail, la performance et la cohésion des groupes. Nous notons toutefois que la performance économique n’y est que trop rarement décrite.
DEFINITION ET DESCRIPTION
Beaucoup de concepts ont été utilisés pour décrire les modèles de management destructif actifs ou passifs.
Les leaders peuvent avoir différents comportements qui affectent globalement leur organisation5 et conduisent potentiellement à des conséquences négatives sur l’exécution des tâches, la qualité du travail, l’efficacité et les relations avec les clients et les partenaires6.
Les modèles de management destructifs bien connus, tels que la supervision abusive, la tyrannie7, les machiavels autoritaires8, dont la prévalence comme nous l’avons vu plus haut, est relativement élevée, ont eux aussi des effets dévastateurs9. Il apparait clairement dans l’ensemble de la littérature que ces leaders sont toujours manipulateurs, voire menteurs et souvent dotés d’un faible niveau d’empathie.
Management destructif actif
Le tyran mesquin : pro-organisation et anti-subordonné. Il cherche à obtenir des résultats aux dépends des autres lui permettant de se mettre en valeur. Il n’hésite pas à manipuler et humilier ses collaborateurs pour parvenir à ses fins.10.
Le leader défaillant : anti organisation et anti-subordonné. Ces dirigeants peuvent intimider, tromper et se livrer à des comportements anti-organisationnels tels que l'absentéisme et la fraude.11 Il existe, suivant les travaux d’autres sous-groupes qui ne sont pas abordés ici.
Management destructif passif
Le Management par exception : ce type de comportement conduit le manager à simplement attendre que des problèmes s’aggravent et deviennent urgents avant d’intervenir.
Le Management « Laissez-faire » parfois aussi appelé le Non Management. Le « Laissez-faire » leadership décrit une attitude de non-intervention, voire d'indifférence par rapport à une situation ou un comportement qui mériterait une réaction. Dans leur concept de «Laissez- Faire » Management, Bass & Avolio, 1994 et Lewin, Lippit et White en 1939, décrivent un leader généralement nommé, et non pas recruté ou ayant obtenu son poste de haute lutte dans un processus de sélection.
Ce type de manager occupe physiquement la position, mais a sciemment, plus ou moins renoncé aux responsabilités qui lui ont été assignées, il apparaît comme indifférent. Le Management « Laissez- Faire » se caractérise, généralement, par une absence de transaction ou d’accord avec les autres12. Les décisions sont souvent retardées voire enterrées, le retour d’informations, les récompenses et l’implication personnelle sont souvent absents. Il n’y a aucune tentative de motiver les autres, de reconnaitre leurs points forts et faiblesses ou de répondre à leurs besoins de considération. Le leadership « Laissez-Faire » est particulièrement dévastateur pour les collaborateurs nécessitant un fort besoin de supervision ou pour ceux qui sont nouveaux dans leur emploi ou leur poste. Par conséquent un leadership de type « Laissez-Faire » n’est pas seulement un manque de présence réelle ou un genre de management zéro, mais il se manifeste également par un comportement anti- social. Le leader « laissez-faire » ne s’implique pas directement dans les activités de groupe ( les pauses café ou repas) en somme, il est totalement en retrait par rapport à son équipe, au point qu’il n’y a quasiment aucun « lien » réel. Ce manager a généralement une très haute opinion de lui-même et se montre réfractaire à la formation. Son comportement consiste également à ne pas répondre aux attentes légitimes de ses subordonnés, mais également à celles de ses supérieurs et des autres parties prenantes concernées. Ce style de leadership conduit à un faible niveau de productivité.
Le « laissez-faire » leadership est présenté de façon caricaturale comme un style sans communication ni objectifs précis et crée un climat général attentiste très dommageable.
A ce jour il n’a y pas de démonstration claire que la prévalence de ce type comportement soit dépendante du genre13,14.
CONSEQUENCES DU « LAISSEZ-FAIRE » LEADERSHIP
Les recherches portant sur le climat et l’ambiance de travail au sein des organisations, effectuées entre 1950 et 1990 démontrent que 60-75% des travailleurs évoquent leur relation avec leur supérieur direct comme le pire aspect de leur activité15. Aux États-Unis, la pression professionnelle a été citée dans 75 % des cas de demandes d'indemnisation dans lesquelles les facteurs de stress mental étaient la cause principale de l'absentéisme. 94 % de ces demandes étaient prétendument causées par un traitement abusif de la part des managers16.
Kelloway at al (2005) affirme qu’un leadership médiocre, y compris le “Laissez-Faire » peut être à l’origine de facteurs de stress particuliers sur le lieu de travail. Les conflits de rôle et ambiguïté de rôle, la perception de relations interpersonnelles de mauvaise qualité avec les leaders sont souvent cités.
Il a été démontré le caractère systématique, de l’utilisation de contraintes organisationnelles diverses telles que le manque de temps, le manque d’équipement, et/ou le manque de personnel, comme justification et excuse des « Laissez-Faire » managers17 à leur comportement.
Les effets du « Laissez-Faire » management ont été plus particulièrement étudiés dans un contexte de restructuration, en mesurant notamment l’augmentation de l’absentéisme et des taux de burnout dans une entreprise suédoise de 601 employés.18.
Les résultats confirment les mécanismes décrits dans les études précédentes en précisant une échelle de temps dans l’apparition des effets. Les auteurs constatent entre autre, un début de l’augmentation de l’absentéisme marqué après 9 mois et une augmentation des symptômes d’épuisement professionnel (burnout) de +/- 18% après 24 mois. Ce qui démontrerait, dans ce cas particulier, une prolongation des effets négatifs de la restructuration sur le personnel et donc, par conséquent, de l’inefficacité induite de cette dernière.
En 2004, l’Observatoire suisse de la Santé publie un rapport mettant en évidence que le coût direct de l’absentéisme se montait à 4-5% du montant total des salaires versés, on imagine donc clairement le coût que peut engendrer ce type de comportement destructif.
Nous n’avons toutefois, à ce jour, trouvé aucune donnée économique portant sur le potentiel coût indirect (perte d’image, perte de confiance dans la relation client, assureur, fournisseur ou actionnaire) induit par les comportements de « Laissez-Faire » leadership.
RED FLAGS
Nous l’avons vu plus haut, la prévalence des comportements de management destructif est bien plus répandue qu’on ne le pense (33,5 -61%).20 Par conséquent le premier outil de contrôle et de prévention reste la prise conscience de l’existence réelle de ces derniers.
Nous tentons ici, de proposer quelques pistes de KPI’s à monitorer afin de permettre un diagnostic précoce de la présence d’un leader « Laissez-Faire » au sein de l’organisation.
A un niveau plus global et statistique on doit aussi observer de près
DISCUSSION
Compte tenu de la haute prévalence de ces comportements destructeurs, et bien que ces groupes soient académiquement plutôt bien décrits, bien documentés et depuis longtemps, on peut raisonnablement s’interroger sur le niveau global de formation théorique des managers en poste, notamment dans les PME.
Si les organisations sont actuellement en mesure de calculer de manière relativement précise les coûts directs de ce type de comportement, par contre, nous ne disposons à ce stade d’aucune données fiables sur l’impact et les coûts indirects, économiques et sociaux, que peut avoir le « Laissez-Faire » leadership management sur les collaborateurs, les clients et autres parties prenantes externes à l’entreprise.
L’absence de volonté à exercer son rôle de Manager une fois en situation, peut rendre difficile la détection précoce des comportements de Laissez-Faire leadership, au travers d’un « assessment » standard ou processus de promotion interne. Nous sommes d’avis que, des questionnaires d’évaluations périodiques spécifiquement adaptés à cette problématique, la faciliterait.
Même si la littérature connait quelques rares cas dans lesquels le « Laissez- Faire » leadership s’avère positif pour l’organisation 23, cas où les suiveurs sont hautement qualifiés, expérimentés, autonomes et éduqués, il n’existe, à notre connaissance, aucune méthode réputée crédible et reproductible, permettant de résoudre efficacement le désastre généré par un « Laissez-Faire » leadership.
CONCLUSION
Les différents modèles de management destructifs sont extrêmement fréquents et particulièrement onéreux pour les organisations. Etant un comportement finalement silencieux, le plus fréquents d’entre eux, le « Laissez-Faire » leadership reste difficile à mettre en évidence : probablement en raison du manque de sensibilisation du management. Son impact économique et social restant extrêmement élevé tant pour l’organisation que pour ses partenaires.
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